• Le film du dimanche soir (32)

    LES ANGES ONT PARFOIS DES NOMS DE TRAIN

    Hélène Dassavray

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    Épisode 32

    Le nom de Franz


    Il est décidé que nous restions là pour l'instant, en attendant Coco. Nous sortirons plus tard assister à un concert dans un bar.
    Nous parlons de l'amour, le sujet de conversation le plus passionnant que je connaisse. Chacune a sa théorie.
    - L'amour c'est un instant magique.
    - C'est un choix.
    - C'est un vase communicant.
    - C'est une compatibilité de pathologies.
    - C'est le meilleur.
    - C'est le bordel.
    - C'est le meilleur bordel.

     

    Nous visitons nos souvenirs communs, notre rencontre, mon premier concert, notre virée à la mer, les fêtes, la dernière fête ! J’apprends que le rascal a fini à l'hôpital mais que personne n'a parlé de moi. Une fille que personne ne connaît, il en passe dans toutes les fêtes… La victime a préféré jouer l'innocent, une agression anonyme.
    - Il parait qu'il a perdu une couille.
    - Beaucoup d'hommes ont l'air de très bien vivre sans !
    - Coup bas !
    - Le cœur du sujet !
    En évoquant cet épisode, je suis envahie par un déferlement de sentiments : la fierté guerrière, la compassion humaine, le plaisir de la vengeance, le regret de la souffrance. Mina devine mon désarroi :
    - La race humaine a pris le pouvoir sur cette planète, pour la détruire dirait-on, elle a pareillement des prédateurs dans son propre camp. Ils sont violents, il faut bien s'en défendre.
    Je ne suis pas si fière de savoir ce qu'est un prédateur, même si c'est la preuve que j’ai grandi et enrichi mon vocabulaire…

    C'est d'abord un plaisir de voir Coco débarquer dans un noble mouvement de sa cape noire, ses yeux de velours, sa tendre poésie, mais un détail gâche le réjouissant tableau - il est blanc comme un linge. La joie de Mina est palpable quand il franchit la porte de l'appartement, elle se fige à la vue de son visage blafard. Plus personne n'ose bouger. Coco le volubile reste silencieux à nous regarder toutes les trois, statufiées, attendant ses mots.
    - C'est une joie de te revoir jeune opaline, nous serons donc tous là pour accompagner l'âme de notre ami Franz qui s'apprête à rejoindre l'autre rivage du monde.
    J’ignore de quoi il parle, Franz en voyage ? Mina et Marijo n'osent comprendre.
    - Il a rejoint le Grand Esprit et les plaines éternelles.
    Nous cessons de respirer, nous regardons, chacune espérant lire un démenti dans les yeux de l'autre. Mais la nouvelle est tombée et personne ne possède le pouvoir de s'y soustraire.
    - Comment ? A seulement demandé Mina.
    - Overdose.
    - Naturellement.
    - Il n'y aura aucun survivant…
    Coco s'assied avec nous tandis que Mina se lève pour allumer toutes les bougies de la maison et éteindre les lumières.

    Quelques heures plus tard nous sommes une vingtaine assis sur les coussins du salon, à écouter en boucle les disques préférés de Franz. Nous sommes plutôt silencieux, quand l'un d’entre nous prend la parole c'est pour raconter Franz, rappeler une histoire, un geste. Je me rends compte brutalement qu'il n'est plus désormais que ces mots que nous disons de lui, il n'existe plus que dans les mémoires des gens qui l'ont connu. Nous sommes réellement mort lorsque plus personne ne se rappelle de nous et ce moment finit par arriver, inéluctablement.

    Chaque fois que l'un de nous allume un joint, il l'élève vers le ciel et prononce le nom de Franz.

    A suivre

     


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