• Le film du dimanche soir (33)

    LES ANGES ONT PARFOIS DES NOMS DE TRAIN

    Hélène Dassavray

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    Épisode 33

    Le nom de Franz (2)

    Nous avons peu dormi mais serrés les uns contre les autres. Les bougies ont tenu toute la nuit. Le matin est d'une indécente luminosité.
    Nous avons décidé d'aller dire au revoir à Franz.
    Mina et moi sommes les dernières à sortir, Mina s'arrête dans la cour et lève la tête
    - Tu ne sens rien ?
    Je regarde le ciel, je reconnais cette lumière.
    - Il va neiger !
    - Tu remontes vite chercher les paillettes ?

     

    Il neige au moment où nous arrivons chez Franz après avoir traversé la ville. Nous avons essayé d'occuper les trottoirs en une bande joyeuse mais les cœurs n'y sont pas. Nous nous tenons encore serrés les uns contre les autres, j’ai pris les bras de Coco et Mina, nous marchons du même pas. Je porte le précieux manteau orange de Mina brodé de fleurs multicolores, Marijo est coiffée d'un grand chapeau piqué de perles. Une écharpe chatoyante dans laquelle se reflète le soleil blanc volète autour du cou de Mina et miroite sur les murs que nous longeons.
    Nous tentons de mesurer l'absence. Elle est abyssale.

    C'est un vaste appartement vide, sous les toits, on dirait que les huissiers viennent de passer. Au milieu de l'atelier, dont le sol est maculé de taches de peinture, trône un cercueil ouvert. C'est la première fois que je vois un mort, je ne le reconnais pas. Franz est maquillé, rasé, les cheveux coupés, coiffés avec une raie sur le côté, si maigre ; autour de lui des fleurs et des cierges, quelques chaises.
    Nous faisons connaissance avec la famille, une mère, une grand-mère, une sœur, un beau-frère, deux cousines, en larmes. Nous formons une cohorte hirsute et bigarrée à côté des sombres et dignes tenues familiales.
    Nous comprenons que la mort de Franz appartient à sa famille mais nous avons dans l'idée de rendre un dernier hommage à notre peintre fou.
    Nous entourons le cercueil, la famille vigilante se tient en retrait. Caché par Mina et Magali, Jean-Marc roule un joint dans sa main et le glisse dans la poche du costume de Franz.

    Nous traversons sous la neige la ville dans l'autre sens, achetons de l'alcool et nous retrouvons chez Mina.
    - Il avait l'air déguisé !
    - Qui l'avait déjà vu en costard ?
    - T'avais déjà vu un mort ?
    - Moi c'était la première fois.
    - Moi aussi.
    - Moi non.
    Marie n'a plus jamais été la même après avoir vu le corps du bébé d'une amie, Dédé a recueilli le dernier souffle de son père. Pendant qu'ils parlent je rejoins la fenêtre, je regarde la neige recouvrir toute la grisaille de la ville, peut-être la dernière neige de mes quinze ans. A chaque seconde quelqu'un meurt et la neige continue de tomber, les vivants continuent de parler, boire, écouter de la musique, croyant peut-être qu'ils ne mourront jamais.
    En réponse à mes pensées, j’entends la voix de Mina couvrir un instant le bruit de fond de la conversation avec une de ses fameuses idées fixes bien à propos:
    - Vis chaque jour comme si c'était le dernier parce qu'un jour tu auras raison.
    - On ne peut mieux dire, ajoute quelqu'un.

    Chacun évoque ce qu'il pense être la mort, je n'en ai aucune idée. La plupart imaginent un voyage et s'accordent pour dire que c'est ce qui conviendrait le mieux à Franz. J’attends l'avis de Mina, je ne suis pas déçue :
    - Ce que la chenille appelle la mort, nous l'appelons papillon.
    C'est bien ce que je pensais, on ne peut pas savoir.
    Ensuite, quelqu'un a la bonne idée d'immortaliser l'instant.

    A suivre

     

     


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