• En attendant

    La déclaration

    Lydie Salvayre
    Points – 126 pages

    L’amour en guerre

    « J’aurais voulu trouver un geste digne de mon émoi, un geste unique, pudique et fervent à la fois. Mais je demeurais interdit, les mains inutiles, l’émotion incarcérée dans le corps. Une fois encore, je mesurais le divorce entre les prétentions de mon âme et mon inaptitude à les incarner. »

    Un homme, sans nom, seul. Sa femme vient de le quitter. Le livre commence par le portrait de cette femme que l'homme a écrit, un portrait dur, cruel, amer.

     Il est en train de se relire, dépassé par son propre texte, car son regard sur elle est aussi son regard sur lui-même ; il l'amène à parcourir ce qui fait sa vie. Et pour l'instant sa vie n'est qu'un grand vide. Il tente de se distraire, va au théâtre, mais rien ne peut le sortir de son anéantissement. Il perd bien sûr son emploi et se retrouve véritablement seul et désœuvré. Tout en inspectant son enfance, sombre et cynique, il cherche des issues : un séjour chez des amis en Bretagne, un voyage éclair aux États-Unis, des expériences mystiques. En homme désespéré, il finit par déposer une annonce dans un journal, dans l’espoir de « parler à un être humain qui ne soit pas maman, et qui ait si possible la forme d’une femme ». Les rencontres sont plus ou moins décevantes, pour les deux partis, il sabote lui-même la relation qu’il avait réussi à établir avec Henriette. On le voit ensuite perdre pied, de plus en plus vite, jusqu’à l’hôpital psychiatrique. Il faut parfois aller très loin, pour que la vie revienne, enfin.

    La déclaration est le premier roman d’une auteure peu orthodoxe. Lydia Salvayre est psychiatre par ailleurs, mais on pourrait la croire médecin légiste. Elle dissèque son héros comme il dissèque sa vie et son environnement. Ce n’est pas tout à fait un monologue intérieur, puisqu’il s‘agit d’une déclaration, une déclaration d’existence. Une déclaration d’amour et de guerre comme le suggère la quatrième de couverture.
    Le héros est à la fois repoussant et touchant. Repoussant par sa façon de ne rien occulter, de se confronter à la vie organique, son histoire est constituée de sueur, d’odeurs, d’haleines. Touchant, à cause de son âme qui ne tient pas debout. Ce n’est pas qu’il ait des failles, ce personnage est l’incarnation de la faille, de l’humanité dans toute la gloire de sa fragilité. Un héros qui se demande de quoi il est fait. Et pourquoi il se défait.
    L’écriture est d’une précision scientifique, mais l’humour n’est jamais loin, noir et serré, comme un poing. Par exemple, le récit de la visite de la mère chez son proctologue est inoubliable. Le sourire chez Lydie Salvayre est toujours grinçant, et s’il s’est adouci au long de l’œuvre il lui reste toujours assez d’acidité pour nous réveiller l’estomac.
    L’un des thèmes de ce texte, faisant partie de ce que l’on nomme « les obsessions de l’auteur », la folie, la psychiatrie, est ici traité du début à la fin. Mais il s'agit avant tout d'un
    texte sur la fatigue de vivre, Le lecteur est reconnaissant à l’auteure de la vue sur laquelle il débouche après ce voyage dans un labyrinthe empreint de noirceur.

    Bref, vous devez lire ce livre pour l’exigence de l’écriture, pour le portrait de la mère, pour son humaine férocité.

    HD
    (Chronique inédite pour le Rioumard – 2013)


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